Et si le venin de vipère permettait de lutter contre la DMLA et la rétinopathie diabétique ?
Le Dr Xavier Guillonneau et son équipe étudient les propriétés anti-angiogéniques de la lébécétine, une molécule extraite du venin de la vipère Vipera lebetina. Son efficacité a été démontrée dans la prévention de la néovascularisation rétinienne et choroïdienne, des processus pathologiques associés à des affections rétiniennes graves telles que la forme humide de la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) et la rétinopathie diabétique (RD).
Le venin de serpent, une structure complexe redoutablement efficace
Les venins de serpent sont composés d’un mélange complexe de protéines aux propriétés variées, et ont évolué pour remplir des fonctions spécifiques telles que la défense et la capture des proies. Ils sont une source de molécules puissantes et ciblées, offrant des outils pour une compréhension approfondie de processus biologiques complexes, tels que l’inflammation, l’angiogenèse, la neurotransmission et la réponse immunitaire. Grâce à leur diversité moléculaire, ces venins permettent de cibler avec une grande précision des voies thérapeutiques prometteuses, ouvrant la voie au développement de nouveaux traitements innovants. Cela fait des venins de serpent une ressource inestimable pour la recherche médicale.
La lébécétine, une biomolécule d’intérêt et prometteuse
La lébécétine, extraite du venin, est une protéine qui possède des propriétés anti-angiogéniques, inhibant la formation de nouveaux vaisseaux sanguins. Ce mécanisme est crucial dans le développement des tumeurs, mais aussi les pathologies rétiniennes comme la forme humide de DMLA et la rétinopathie diabétique, où la croissance anormale de vaisseaux peut entraîner des lésions rétiniennes et la perte de vision.
Les recherches menées à l'Institut de la Vision ont démontré que la lébécétine se fixe et bloque les intégrines, des protéines impliquées dans la formation et la stabilisation des vaisseaux sanguins. Les résultats ont montré qu’elle réduisait efficacement la néovascularisation choroïdienne et rétinienne dans les modèles de recherche pré-clinique de la DMLA et de la rétinopathie diabétique. Les traitements actuels ciblant le VEGF, une protéine qui déclenche la formation de nouveaux vaisseaux sanguins, ne conviennent pas à tous les patients. En effet, environ 10 % des patients pour la DMLA et 30 % pour la rétinopathie diabétique déclenchent une résistance. La lébécétine offrirait donc une alternative thérapeutique en ciblant d'autres mécanismes d'angiogenèse.
Sans effet significatif sur les vaisseaux sanguins matures, la lébécétine présente un bon profil d'innocuité, ce qui en fait un candidat solide pour le traitement des formes prolifératives de la DMLA et de la rétinopathie diabétique.
Une coopération franco-indienne pour accélérer le transfert auprès des patients
Avec le soutien et le financement de la SATT* (Société d’Accélération du Transfert de Technologies), l’équipe de Xavier Guillonneau a relevé de nombreux défis.
Le premier a été de synthétiser et produire à grande échelle la protéine de grade recherche, avec la même efficacité que celle du venin naturel. Une étape cruciale car la molécule est naturellement présente en trop petites quantités dans le venin pour être utilisée à l’échelle humaine.
Le second a été d’optimiser la galénique, pour développer une formulation du médicament la plus adaptée : un injectable à libération lente du médicament. La SATT a trouvé le partenaire idéal pour cette étape : la société indienne Lamark Biotech. Elle propose une technologie brevetée consistant à créer un gel contenant le médicament. Ce gel est ensuite transformé en cristaux de petite taille capables de piéger les molécules actives pour éviter leur dégradation et permettre leur libération lente et prolongée.
La phase de développement est actuellement en cours, financée par plusieurs sources, dont l'Union Européenne à travers le programme « Marie Curie », soutenu par le Généthon, ainsi que par CEFIPRA**, un programme de coopération scientifique entre l'Inde et la France. Ces financements ont permis de poursuivre les recherches, notamment grâce à l'arrivée d'Avtar SAIN, un chercheur post-doctorant indien, au sein de l'équipe. Ce dernier travaille à l'optimisation des étapes clés de la production, afin de garantir une protéine compatible avec les standards de grade médical. En effet, pour les essais cliniques chez l'Homme, il est impératif d'éliminer toutes les modifications introduites au cours de la recherche, afin de purifier la protéine et d'assurer son étude dans les meilleures conditions (pour la reconnaitre une fois injectée, la monitorer et analyser les résultats).
"Le développement de la Lébécétine comme molécule médicamenteuse repose sur sa caractérisation biophysique et fonctionnelle. Nous nous concentrons sur l'élaboration de méthodes de production et de purification en interne, dans des conditions proches des bonnes pratique de Laboratoire (BPL), et sur la caractérisation conforme aux normes réglementaires. Ce processus garantira un contrôle qualité rigoureux, permettant l'évaluation de la qualité de lot à lot. La Lébécétine sera également étudiée pour son affinité de liaison et sa pharmacocinétique. Enfin, la molécule sera formulée avec la technologie unique de Lamark et évaluée en termes de qualité, stabilité et fonctionnalité à travers des tests in-vitro et ex-vivo, avant les études précliniques sur le modèle de la DMLA." Avtar SAIN
Les progrès réalisés jusqu’à présent, combinés à l’engagement des partenaires, ouvrent des perspectives prometteuses. Si tout se passe comme prévu, cette molécule pourrait jouer un rôle clé dans le traitement de pathologies rétiniennes et d’autres affections nécessitant des solutions innovantes. L'avenir clinique de cette recherche semble ainsi porteur de grandes promesses pour les patients. La nouvelle formulation de la lébécétine pourrait permettre d’espacer les injections dans l’œil.
*SATT, Sociétés d’Accélération du Transfert de Technologies créées dans le cadre du Programme des Investissements d’Avenir (PIA). Elles financent le développement technologique des innovations issues de la recherche publique française grâce à un fonds d'investissement exclusif. Acteurs de proximité et de confiance, elles détectent, évaluent, protègent et conduisent ces inventions jusqu’au marché en les confiant à une entreprise existante ou une future startup.
**CEFIPRA, Centre Franco-Indien pour la Promotion de la Recherche Avancée (CEFIPRA) est un programme bilatéral de coopération scientifique entre la France et l’Inde, soutenu par la Ministère des Affaires Étrangères du gouvernement français et le Département de la Science et de la Technologie du gouvernement indien.
Dr. Xavier Guillonneau est actuellement investigateur principal à l'Institut de la Vision à Paris, où il mène des recherches sur l'inflammation et l'immunologie dans les pathologies rétiniennes. Titulaire d'un doctorat en biologie moléculaire et cellulaire de l'Université Paris 5, il a poursuivi un postdoctorat au D.B. Farber Laboratory à Los Angeles, se spécialisant dans les génétiques et les dégénérescences rétiniennes.
Ses travaux ont contribué de manière significative à la compréhension du développement rétinien et de ses pathologies, en se concentrant sur les voies de signalisation des chimiokines, le rôle de la microglie et l'inhibition de l'angiogenèse. Il développe des traitements anti-angiogéniques visant à ralentir la progression de maladies telles que la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) et les rétinopathies diabétiques. Auteur de nombreuses publications scientifiques, le Dr Guillonneau a ouvert de nouvelles perspectives thérapeutiques pour ces pathologies rétiniennes.
Dr Avtar Sain travaille actuellement en tant que candidat postdoctoral chez Lamark Biotech SAS, dans le cadre du projet Apogeebio, cofinancé par la prestigieuse bourse Marie Curie. Basé à l'Institut de la Vision, ses travaux portent sur le projet de la Lébécétine, où il met à profit son expertise en technologie de bio-séparation et en chimie des protéines.
Ce poste postdoctoral industriel est proposé par la Commission Européenne et géré par Genopole, un cluster biotechnologique de renommée qui offre une plateforme dynamique pour les industries biotechnologiques innovantes, dans des domaines de pointe tels que les biothérapeutiques, la génomique, la biologie synthétique et la bio-fabrication.